L’aube se levait sur le pavillon d’étude. Une brise fra?che glissait entre les piliers de bois, soulevant doucement les feuilles mortes laissées par la tempête nocturne. Les élèves se rassemblèrent progressivement dans la cour, certains baillant encore, d’autres jetant des regards prudents vers l’estrade où se tenait déjà le ma?tre.
Le ciel était limpide, et le soleil projetait des ombres nettes sur les pavés. Le ma?tre, immobile, laissait son regard errer sur le sol, suivant le contour de son propre ombre étirée derrière lui.
Lorsqu’il parla enfin, sa voix coula avec la douceur du vent matinal.
"Pourquoi l’ombre existe-t-elle ?"
Un silence s’installa aussit?t. Quelques élèves échangèrent des regards incertains.
Ren Shi, toujours prompt à répondre, haussa les épaules. "Parce qu’un objet bloque la lumière."
Le ma?tre ne réagit pas. Il recula d’un pas, et l’ombre s’étira différemment.
"Si rien ne bloque la lumière, y a-t-il encore une ombre ?"
"Non," répondit Ren Shi, un peu plus hésitant cette fois.
Le ma?tre inclina légèrement la tête. "Alors, si l’ombre dispara?t lorsque la lumière est totale, pourquoi suis-je toujours là ?"
Cette question laissa l’assemblée sans voix.
Jian Rou plissa les yeux, fixant le sol. "L’ombre ne dispara?t pas… Elle change de place."
Un léger sourire passa sur le visage du ma?tre. Il se dépla?a lentement, changeant encore une fois l’angle de son ombre.
"Exactement. Mais alors… où se cache l’ombre lorsqu’on ne la voit plus ?"
La question semblait simple, presque na?ve. Pourtant, aucun élève ne sut répondre immédiatement. Certains regardèrent autour d’eux, comme si la réponse pouvait se trouver sur les murs du pavillon.
Feng Lian soupira bruyamment. "Pourquoi parler de l’ombre ? Ce n’est qu’un effet de la lumière. Rien de plus."
Le ma?tre ne releva pas. Il recula lentement jusqu’à être sous l’ombre d’un grand arbre.
"Ce que vous voyez sous cet arbre, est-ce toujours une ombre ?"
Cette fois, même Feng Lian resta silencieux.
Le ma?tre baissa les yeux vers sa propre silhouette, à présent absorbée par l’ombre du feuillage.
"L’ombre ne dispara?t jamais. Elle se cache simplement là où vous ne regardez pas. Comme le Dao, elle existe dans ce qui est visible et dans ce qui est invisible."
Puis il leva lentement les yeux vers ses élèves.
"Et dans le c?ur des hommes ?"
La brise s’était tue.
Le silence était plus lourd que la question elle-même.
Une heure plus tard...
Le ma?tre laissa ses dernières paroles flotter un instant, avant de tourner les talons et de quitter la cour.
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Certains élèves baissèrent la tête, pensifs. D’autres secouèrent la tête avec exaspération.
Seule Yu Mei murmura, presque pour elle-même :
"Si l’ombre ne dispara?t jamais… alors peut-être que ce que nous ignorons nous suit toujours, caché derrière la lumière. Comme le Dao, il n'est jamais absent, seulement mal compris."
Le ma?tre marchait lentement à travers les couloirs du pavillon, laissant le murmure des élèves derrière lui. L’air du matin était encore frais, et le bois du sol grin?ait légèrement sous ses pas. Il ne semblait pas pressé, comme si chaque instant avait son propre poids, sa propre importance.
Il s’arrêta un instant sous le porche qui donnait sur le jardin intérieur. Le vent agitait doucement la surface du bassin, créant des ondulations qui se croisaient, s’effa?aient, se reformaient.
Il observa un instant son reflet dans l’eau, déformé par le mouvement. Puis, sans un mot, il reprit sa marche.
Alors qu’il atteignait l’un des longs corridors menant aux quartiers des enseignants, une voix l’interpella.
"Professeur Zhi."
Un homme s’avan?ait vers lui, vêtu de la robe bleue caractéristique des instructeurs de l’académie. Son expression était neutre, mais son regard trahissait une certaine curiosité, peut-être même une pointe de méfiance.
"Le directeur souhaite vous voir."
Zhi Huo s’arrêta. Il tourna légèrement la tête, observant l’homme sans expression particulière.
"Maintenant ?"
Le professeur hocha la tête.
"Oui. Il a dit que c’était important."
Zhi Huo ne répondit pas tout de suite. Il jeta un bref regard vers le ciel. Le soleil montait lentement, raccourcissant les ombres.
Finalement, il acquies?a et reprit sa marche, suivant silencieusement le professeur à travers l’académie.
Zhi Huo avan?ait d’un pas tranquille, suivant le professeur à travers les longs corridors de l’académie. Le batiment principal s’élevait au c?ur d’un vaste domaine, un lieu ancien où chaque pierre semblait chargée d’histoire.
Le sentier pavé serpentait entre les différents pavillons d’étude, bordé de cerisiers en fleurs dont les pétales tombaient doucement, emportés par le vent. Certains élèves, encore captivés par la le?on du matin, discutaient à voix basse sous les portiques en bois sculpté. D’autres s’entra?naient dans une cour annexe, répétant inlassablement leurs encha?nements sous la surveillance stricte d’un instructeur.
Plus loin, un vaste lac reflétait le ciel limpide. Des lotus dérivaient lentement à sa surface, leurs feuilles frémissant à peine sous la caresse du vent. Un petit pont de pierre enjambait l’eau, menant à un pavillon isolé où de rares élèves studieux lisaient en silence.
Le chemin principal, bordé de lanternes anciennes, les mena jusqu’à la grande allée menant au bureau du directeur. Ici, l’atmosphère était différente. Plus solennelle.
Les murs étaient ornés d’anciens rouleaux calligraphiés relatant les principes fondateurs de l’académie. De chaque c?té du hall, d’imposantes statues de sages légendaires veillaient sur les lieux, figées dans la pierre depuis des siècles.
Zhi Huo s’arrêta un instant devant l’entrée. Le grand portail de bois sombre, sculpté de motifs de dragons et de nuages, était légèrement entrouvert.
Le professeur qui l’accompagnait s’inclina légèrement.
"Le directeur vous attend à l’intérieur."
Zhi Huo ne répondit pas immédiatement. Il posa une main sur le bois du portail, effleurant du bout des doigts les gravures anciennes.
Puis, sans un bruit, il poussa la porte et entra.
Le bureau du directeur était vaste mais sobre. De hautes étagères croulaient sous le poids des anciens manuscrits, et une large fenêtre donnait sur le jardin intérieur, baigné d’une lumière douce.
Assis derrière un bureau en bois massif, le directeur de l’académie, Ma?tre Ren, releva la tête en voyant Zhi Huo entrer. C’était un homme aux tempes grisonnantes, vêtu d’une robe simple mais élégante. Son regard, bien que bienveillant, était empreint d’une certaine prudence.
"Professeur Zhi," dit-il en l’invitant à s’asseoir d’un geste de la main. "Merci d’être venu."
Zhi Huo s’installa sans empressement, observant le directeur d’un regard calme.
"On m’a dit que vous souhaitiez me voir."
Ma?tre Ren soupira, joignant les mains devant lui.
"Oui. Il s’agit d’une plainte déposée contre vous."
Un léger silence s’installa, mais Zhi Huo ne montra aucun signe de surprise.
"Feng Yao, le général des armées du Nord, a fait parvenir une lettre ce matin. Il s’inquiète de l’enseignement que vous dispensez à son fils, Feng Lian."
Le directeur tapota du doigt le parchemin posé sur son bureau.
"Il prétend que votre enseignement détourne son fils du chemin de la force. Selon lui, vous semez des idées inutiles dans l’esprit des élèves, au lieu de leur transmettre un savoir pratique."
Zhi Huo resta silencieux un instant. Puis, d’un ton neutre, il répondit :
"Je me contente de leur montrer un autre regard sur le monde. Rien de plus."
Ma?tre Ren eut un sourire fatigué.
"Je comprends votre approche, Professeur Zhi, et je ne doute pas de votre sincérité. Mais Feng Yao est un homme influent. Son soutien est vital pour l’académie. Il pourrait compliquer bien des choses s’il estime que son fils perd son temps."
Il marqua une pause, cherchant ses mots.
"Je ne vous demande pas de changer votre enseignement… mais peut-être pourriez-vous être plus… conventionnel avec certains élèves ?"
Un silence flotta entre eux.
Zhi Huo observa le directeur, puis porta son regard vers la fenêtre, contemplant le vent qui soulevait doucement les branches d’un érable centenaire.
"Les graines poussent selon le sol où elles tombent," dit-il finalement. "Certaines germeront t?t, d’autres mettront des années à fleurir. Qu’un père impatient se plaigne de la lenteur d’une graine ne la fera pas grandir plus vite."
Ma?tre Ren ferma brièvement les yeux, soupirant de plus belle.
"J’imagine que c’est votre fa?on de dire que vous ne changerez rien."
Zhi Huo ne confirma ni n’infirma, se contentant d’un léger sourire.
Le directeur tapota du bout des doigts le parchemin, indécis. Puis, finalement, il secoua la tête.
"Faites ce que vous voulez, mais soyez prudent, Professeur Zhi. Tous ne voient pas le monde comme vous."
Zhi Huo se leva lentement.
"C’est justement ce que j’essaie de leur montrer."
Puis, sans attendre d’autre réponse, il quitta la pièce, laissant Ma?tre Ren seul avec son dilemme.
Ma?tre Ren fixa la porte un instant après le départ de Zhi Huo, puis poussa un long soupir. Ses doigts tapotèrent machinalement le bois du bureau tandis qu’il murmurait pour lui-même :
"Ce professeur… Je ne sais même pas pourquoi je l’ai accepté."
Il secoua la tête, l’air las.
"Un vagabond avec un simple dipl?me, venu de nulle part, qui parle plus en énigmes qu’en véritables le?ons… Comment ai-je pu penser qu’il conviendrait à cette académie ?"
Son regard se posa sur la lettre de Feng Yao, toujours sur son bureau.
"Si même le général s’en inquiète, alors cela ne fait que confirmer mes doutes."
Il passa une main sur son visage, réfléchissant.
"Les élèves ont besoin de discipline, de structure. Pas de paroles creuses qu’ils ne comprendront peut-être jamais."
Un silence s’installa. Ma?tre Ren posa les coudes sur la table, croisant les doigts devant son visage.
"Non… Je ne peux pas garder ce professeur."
Son regard s’assombrit.
"Il faudra que je trouve un moyen de le faire partir, sans faire de vagues."