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Chapitre 3 : Académie Roselyne

  Zhi Huo marchait lentement à travers les pavillons de l’académie. L’air du matin était frais, chargé d’une brise légère qui faisait danser les bannières suspendues aux batiments. Il n’y avait pas encore d’agitation. Seuls quelques élèves matinaux s’entra?naient dans la cour principale, répétant inlassablement leurs mouvements sous la surveillance de leurs instructeurs.

  Son chemin le mena à travers un jardin de pierres, où des cerisiers déployaient leurs branches nues, témoins d’une saison qui hésitait encore entre l’hiver et le printemps. Zhi Huo s’arrêta un instant, posant son regard sur un étang où quelques feuilles sèches flottaient encore.

  "Un lac immobile ne signifie pas l’absence de vie," murmura-t-il pour lui-même avant de reprendre sa route. "Tout comme un c?ur silencieux peut abriter la tempête du Dao."

  Les quartiers des professeurs étaient modestes, situés à l’écart du tumulte des élèves. Une série de pavillons en bois bordait une allée pavée, avec de petites lanternes suspendues sous leurs toits incurvés. En poussant la porte coulissante de sa chambre, Zhi Huo entra sans bruit.

  L’intérieur était dépouillé. Une simple natte pour dormir, une table basse sur laquelle reposaient quelques livres, et un encensoir encore tiède, vestige de la veille. Il posa son baton contre le mur, puis s’assit en tailleur, observant l’espace vide devant lui.

  Le regard perdu dans le vide, il resta ainsi, immobile, tandis que le vent du matin soulevait doucement le coin d’un parchemin oublié. Il se fondait dans le courant invisible du Dao, laissant ses pensées suivre le flot naturel de l’univers.

  Zhi Huo tendit la main et attrapa un rouleau de parchemin posé sur la table. Il le déroula lentement, révélant une longue liste de noms soigneusement inscrits à l’encre noire. Son regard balaya la colonne de caractères, où certains étaient déjà barrés d’un trait précis et net.

  Son doigt s’arrêta sur la ligne suivante :

  Académie Roselyne

  Sans hésitation, il prit son pinceau, le trempa dans l’encre encore fra?che, et tra?a un trait droit à travers le nom. L’académie venait de rejoindre la liste.

  Au-dessus, d’autres noms s’alignaient : Pavillon des Brumes, Institut du Dragon Pourpre, Temple de l’érable Sacré... Une à une, ces institutions prestigieuses avaient fini par lui fermer leurs portes.

  Il observa le parchemin un instant, comme s’il revivait chacun de ces départs. Puis, sans le moindre soupir ni regret apparent, il enroula à nouveau la liste et la posa sur la table.

  Un léger courant d’air souleva un coin du tissu recouvrant la fenêtre. Zhi Huo leva les yeux. Loin au-dessus des toits, le ciel était d’un bleu profond, et quelques nuages paressaient au gré du vent.

  Tout était calme. Comme toujours.

  Il resta ainsi, immobile, avant de finalement refermer les paupières. Son prochain départ n’était qu’une question de temps.

  Zhi Huo contempla un instant le rouleau de parchemin posé sur la table, puis leva les yeux vers la fenêtre entrouverte. Un souffle de vent s’engouffra dans la pièce, soulevant légèrement un coin de sa tunique.

  L’instant d’après, il disparut.

  Quand il réapparut, l’air ambiant avait changé. L’odeur du bois et du papier ancien avait laissé place à celle de la pierre froide et de l’encre.

  Une vaste grotte s’étendait autour de lui, plongée dans une pénombre tamisée par de simples lampes accrochées aux parois. Il n’y avait ni porte, ni issue apparente. Pourtant, au fond de cette obscurité, l’espace s’organisait avec un ordre étrange et méthodique.

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  D’innombrables étagères s’empilaient les unes sur les autres, montant à des hauteurs vertigineuses, chargées de livres, de rouleaux et de parchemins dont le papier jauni témoignait d’un age lointain.

  Zhi Huo traversa lentement la grotte, son pas résonnant à peine sur la pierre. Il ne s’attarda pas sur les étagères. Il connaissait leur contenu mieux que quiconque. Son regard, lui, était fixé sur l’immense mur qui dominait l’espace central.

  Une carte du monde entier s’y déployait, gravée à même la roche. Chaque fleuve, chaque montagne, chaque cité y était représenté avec une précision saisissante. Sur cette carte, des marques sombres barraient déjà plusieurs endroits, effacés d’un trait net.

  Zhi Huo leva la main et tra?a une nouvelle ligne sur l’Académie Roselyne.

  Un silence s’installa. Il resta ainsi, immobile, le regard perdu sur l’étendue du monde gravé devant lui.

  Puis, lentement, son doigt suivit les courbes des montagnes, glissa le long des fleuves et s’arrêta sur un point encore intact.

  Une nouvelle destination.

  Une nouvelle le?on à donner.

  Zhi Huo resta un moment immobile devant la carte, son regard suivant les contours des territoires encore inexplorés. Puis, sans la moindre hésitation, il se détourna et quitta la grotte aussi silencieusement qu’il était venu.

  Il réapparut au sein de l’Académie Roselyne, le vent du matin caressant doucement les pavés sous ses pas.

  Il soupira.

  Il n’était pas idiot.

  à force de voyager d’un établissement à l’autre, il avait appris à reconna?tre les signes. Les regards furtifs entre les enseignants, les discussions qui s’arrêtaient dès qu’il entrait dans une salle, les hésitations des directeurs lorsqu’ils lui parlaient.

  Il savait que le directeur cherchait un moyen de se débarrasser de lui.

  Cela l’amusait presque. Il n’avait pourtant jamais rien exigé. Pas de poste élevé, pas de reconnaissance, pas de privilèges. Il se contentait d’enseigner, de partager sa vision du Dao, et pourtant, à chaque fois, cela finissait de la même manière.

  Le bruit discret des élèves en train de s’installer le tira de ses pensées.

  Il venait d’arriver devant sa salle de classe.

  Comme à son habitude, il poussa la porte sans fracas et avan?a tranquillement jusqu’à l’estrade. Il balaya la salle du regard. Certains élèves s’étaient déjà assis, d’autres discutaient encore à voix basse. Quelques-uns lui adressèrent un salut rapide, d’autres détournèrent les yeux, indifférents.

  Il prit place et attendit.

  Les discussions s’éteignirent peu à peu.

  Zhi Huo laissa son regard errer un instant sur les visages des élèves devant lui. Il s’accouda légèrement à la table et déclara d’une voix calme :

  “Aujourd’hui sera mon dernier cours.”

  Un silence s’abattit instantanément sur la salle.

  Il observa chacun de ses élèves, gravant leurs expressions dans son esprit. Il savait que pour la plupart, ces paroles ne signifieraient rien aujourd’hui. Mais peut-être qu’un jour, en suivant leur propre chemin, ils comprendraient enfin le Dao que le monde portait en lui.

  Quelques élèves échangèrent des regards surpris. D’autres, comme Feng Lian, affichèrent une expression indéchiffrable.

  “Vous partez déjà, professeur ?” demanda une voix hésitante au fond de la salle.

  Zhi Huo ne répondit pas immédiatement. Il observa la lumière du matin filtrer à travers la fenêtre, projetant des ombres délicates sur le sol de pierre.

  “Ce n’est pas moi qui décide”, dit-il enfin avec un léger sourire.

  Un murmure parcourut les rangs. Certains comprirent immédiatement ce qu’il voulait dire, d’autres se demandèrent encore ce que cela signifiait.

  Mais Zhi Huo ne s’attarda pas sur leurs réactions. Il se redressa et, d’un ton posé, commen?a son dernier enseignement.

  “Aujourd’hui, nous allons parler du vent.”

  Les élèves se regardèrent, un peu déconcertés.

  “Le vent n’a pas de forme propre, il ne choisit pas où il souffle, il ne reste jamais en un seul endroit. Certains le trouvent faible, d’autres le trouvent insaisissable. Pourtant, c’est lui qui fa?onne le monde, qui creuse les montagnes et brise les arbres les plus robustes.”

  Il s’interrompit, laissant ses paroles s’ancrer dans leurs esprits.

  “Mais dites-moi… Le vent est-il fort ou est-il faible ?”

  Un élève leva la main, hésitant.

  “Il est… fort ? Il peut balayer des villes entières.”

  “Non”, répliqua un autre. “Il est faible ! Il n’a pas de corps, on ne peut pas l’attraper.”

  Zhi Huo les écouta avec un léger amusement, puis posa une nouvelle question :

  " Et s’il n’était ni l’un ni l’autre ? S’il était simplement le vent ?”

  Encore une fois, le silence s’installa.

  Il observa chacun de ses élèves, gravant leurs expressions dans son esprit. Il savait que pour la plupart, ces paroles ne signifieraient rien aujourd’hui. Mais peut-être qu’un jour, en regardant le vent souffler sur un champ ou en écoutant le silence d’une vallée balayée par la brise, ils comprendraient.

  Et alors, son dernier cours n’aurait pas été vain.

  Le silence pesait dans la salle, ponctué seulement par le bruit du vent qui s'engouffrait légèrement par la fenêtre entrouverte. Certains élèves semblaient frustrés par la question du professeur, d'autres réfléchissaient en silence.

  Feng Lian croisa les bras et se pencha légèrement en avant, une lueur de défi dans les yeux.

  "Professeur, vous parlez toujours en énigmes. Si le vent n'est ni fort ni faible, alors que devons-nous en tirer ?"

  Zhi Huo observa l’élève sans la moindre trace d’agacement.

  "Ce que tu veux en tirer."

  Feng Lian serra les dents. Il n’aimait pas ce genre de réponse.

  Jian Rou, lui, semblait pensif. Après un instant d’hésitation, il murmura :

  "Peut-être… que la force ou la faiblesse ne sont que des notions humaines. Que le vent ne se soucie pas de savoir ce qu’il est, il se contente d’exister…"

  Un sourire discret passa sur les lèvres de Zhi Huo.

  "Intéressant."

  Certains élèves se tournèrent vers Jian Rou, perplexes. D'autres hochèrent lentement la tête, méditant sur ses mots.

  "Ce n’est pas grave si vous ne comprenez pas aujourd’hui, reprit Zhi Huo d’un ton serein. Peut-être que dans un an, dans dix ans, ou même jamais, ces paroles auront un sens pour vous."

  Il marqua une pause, puis jeta un regard vers l'extérieur.

  "La le?on est terminée."

  Un murmure parcourut la salle. Certains élèves semblaient mécontents de cette fin abrupte, d’autres soulagés.

  Zhi Huo se leva lentement et quitta la pièce sans un mot de plus, laissant derrière lui une salle pleine de jeunes esprits encore enfermés dans leur compréhension du monde.

  Mais il savait qu’un jour, peut-être, certains d’entre eux lèveraient les yeux vers le ciel, sentiraient le vent caresser leur peau, et comprendraient enfin.

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